2007-040. Objets insaisissables

Parfois au réveil, dans la clarté indécise d’un pan d’espace, où disparaissent tous les signes de reconnaissance, je ne perçois ni des choses ni des images. Je ne suis pas le sujet d’impressions pures ni le spectateur indifférent d’objets qui me font face. Je suis co-naissant avec le monde qui se lève en lui-même et se fait jour à mon propre jour, lequel ne se lève qu’avec lui.

Henri Maldiney, L’avènement de l’œuvre (cité par François Cheng dans Cinq méditations sur la beauté, 2006)

Qu’est-ce qu’un objet ? Qu’est-ce qu’une image ? Qu’est-ce que l’image d’un objet ? Pourquoi se poser de telles questions ? En tant qu’artiste, on peut vouloir soudain cesser de croire aux évidences, et regarder ou peindre un objet banal comme s’il s’agissait d’un mystère incompréhensible, mais aussi discret. Pour y parvenir, pas la peine de faire quinze ans de philo, voici un raccourci :

Vous découpez des images d’objets dans des magazines, et vous faites un collage / assemblage de ces formes pour bricoler de nouveaux objets hybrides. Vous mélangez les échelles, un bibelot pouvant se combiner avec un monument. Puis vous frottez votre collage avec une éponge abrasive ou un papier de verre fin pour texturer le papier de magazine. Ensuite, en vous guidant sur les restes apparents des formes des objets, vous modulez avec de l’acrylique et un médium pour la transparence, les couleurs et valeurs de votre collage. Vous unifiez ainsi les effets de volumes et de lumière, tout en transformant discrètement ce qui permet d’identifier les images d’origine. Vous devez obtenir une composition sûrement pas abstraite, mais dont le contenu figuratif demeure insaisissable.

Il y a des objets composés de deux termes, l’un de caractère visuel et l’autre auditif : la couleur de l’aurore et le cri lointain d’un oiseau. Il y en a composés de nombreux termes : le soleil et l’eau contre la poitrine du nageur, le rose vague et frémissant que l’on voit les yeux fermés, la sensation de quelqu’un se laissant emporter par un fleuve et aussi par le rêve.

Jorge Luis Borges, Fictions, Tlön Uqbar Orbis Tertius.

2017-11-27T18:47:08+00:00