Il y a le temps de l’initiation et de la découverte en peinture, où plein de portes s’ouvrent à la fois, avec des techniques toutes neuves qui donnent une idée de ce que peut être la création. Mais seulement une idée. Cette étape est séduisante, fertile, mais aussi brouillonne et insuffisante. À un certain moment, vous arrivez à un palier. Avec parfois le risque d’y tourner en rond, de refaire plus ou moins la même chose de la même façon. C’est le moment de faire le point, en opérant un tri dans votre travail par ordre chronologique. Pour mesurer le chemin parcouru, et vous rendre compte de vers quoi il tend. Vous pouvez alors vous trouver devant trois cas de figures :
- Dans votre peinture, des thèmes récurrents apparaissent, avec une manière privilégiée de les aborder, une méthode personnelle avec son petit côté rituel évoquant un style en gestation. Avec ce risque : conçu trop tôt, avec des moyens techniques limités, un style peut dégénérer en procédé.
- Votre peinture est très ouverte, elle va dans tous les sens avec de l’habileté pour traiter chaque sujet, mais de la difficulté à en concevoir un vous-même.
- Vous peignez tout seul chez vous, mais il vous manque un regard critique, un stimulant extérieur pour aller de l’avant.
Dans ces trois cas, le passage à l’étape suivante d’une recherche picturale personnelle suppose une pratique différente de la peinture, moins superficiellement spontanée, et plus critique. Vous devez chercher le fil conducteur de votre travail, vous poser des questions, vous confronter à la contradiction d’un regard extérieur non complaisant. Dépasser les limites qu’imposent des improvisations toujours recommencées.
Pour mettre en œuvre cette recherche, vous devez donc opérer une sélection dans ce que vous avez déjà fait. Parce que c’est à partir de cette sélection, en prenant conscience de la peinture que vous faites déjà, que vous pourrez en imaginer la suite, tant sur le plan de la technique que du contenu.
Dans toute pratique, on trouve des thèmes récurrents : plutôt que de chercher vos propres thèmes à l’extérieur, vous les ferez ainsi émerger de votre sélection. Pour cela, un mot vous peut servir d’indice : icône. Quelles sont vos icônes personnelles ?
Déjà, quand on parle d’icône, on peut penser à l’art religieux. Ou tout aussi bien à un concept marketing : ainsi les boîtes de “Campbell Soup” de Warhol, comme ses Marylin, sont parfois considérées comme des icônes de l’art américain. Entre ces deux extrêmes, quelles seraient vos icônes à vous, aujourd’hui : quels sujets ? Quelles façons de peindre ? Et quelle manière d’être peintre ?
Pendant un an, vous pouvez vous concentrer sur une série de peintures aussi proches les unes des autres que des icônes orthodoxes entre elles, ou des multiples de Warhol. Ce qui suppose le choix d’un sujet précis et limité, voire banal, seule la façon de le peindre – technique et esprit – faisant la différence avec un thème semblable traité par une autre personne. Mais derrière l’apparence de la répétition qui vous préserve de la dispersion, vous chercherez la différence entre ce qui est profond et ce qui est creux.
Voici quelques idées simples pour mettre en œuvre un thème personnel :
Commencez par des données purement matérielles : nombre et format des œuvres envisagées. Choix des supports, des outils, de la palette, des matériaux. Au lieu de faire des peintures une par une au petit bonheur, créez un ensemble de tableaux qui forme en soi une œuvre, avec cette perspective de conclure par une exposition personnelle homogène.
Choisissez un thème peu “chargé” au départ. Préférez le contenu expressif qui se délivre implicitement au travers de données de pure forme. Par exemple, un sujet aussi anodin que la nature morte, si on évite le piège de la redite décorative, sera porteur de sensations plus profondes qu’une image superficiellement accrocheuse.
Le choix de votre thème et de votre façon de peindre peut venir de plus loin que la réaction épidermique à une chose vue et ressentie; d’ailleurs que d’une gestuelle spontanée ; ne confondez pas tic d’expression et démarche de peintre. La discussion, le regard critique, l’information sur les techniques et les artistes, sur les façons d’exposer, tout doit entrer en ligne de compte pour vous permettre d’élaborer en douceur, mais avec rigueur, le cadre dans lequel votre expérience personnelle se transformera, sans perte de traduction, en peinture.
Sachez enfin que l’inspiration est capricieuse, et qu’il n’est pas pertinent de l’attendre pour commencer. L’acte de peindre, même des choses sans intérêt, est à considérer comme la préparation du terrain pour l’accueillir. La vie d’artiste est une succession de traversées du désert, avec des moments de grâce, puis le désert à nouveau. Il faut tenir la distance, parfois se contenter d’accomplissements modestes.
Et dans tous les cas, que l’œuvre soit réussie ou pas, que le succès ou la reconnaissance soient là ou non, bien vivre le moment où l’on peint. Comme une aventure avec sa part de risque et d’incertitude, qui donne du sel à l’existence.
Yves Desvaux Veeska